Le blues du couvreur
Amazon Room, mardi, 21 heures 52. Soirée calme : aucune finale n'est au programme. Le banc de presse est à moitié vidé de ses occupants habituels. Mais de toute façon, passé vingt heures, il n'y a quasiment plus personne pour regarder les épreuves. Les organisateurs des WSOP distribuent chaque année des centaines d'accréditations, mais presque personne n'en fait véritablement usage.
Et je ne leur donne pas tort, à ceux qui sont déjà partis ce soir : on se fait rudement chier, ici. La manière la plus improductive et ennuyeuse de couvrir un tournoi de poker, c'est tout simplement de le regarder de près. Passer des heures à déambuler entre les tables à la recherche d'un coup intéressant, patienter de longues minutes devant deux joueurs en attendant que l'un d'entre eux se décide, mais il finit toujours par passer, alors on ne voit pas les cartes et il n'y a rien d'intéressant à écrire, et on passe à la table suivante, en espérant que quelque chose se produise. Mais quand quelque chose finit par se produire, on se demande tout de même si cela vaut la peine d'être raconté. Qui est-ce que ça intéresse, ces coups de poker, ces décomptes de tapis en plein milieu de la première où la deuxième journée, quand il reste encore plusieurs centaines de joueurs en course ? Cela fait trente jours que Pauly pond un article par jour sans avoir jamais une seule fois mentionné un coup de cartes, et son blog est tellement bon que c'est le seul site que je me bornerais à lire si je n'étais pas sur place.
Si ça ne tenait qu'à moi, je ne couvrirais que les tables finales... La fin, c'est la période la plus importante d'un tournoi, non ? Je me posterais sur les gradins avec mon carnet de notes, j'étudierais les profils de chacun des joueurs avec attention, j'essaierais de décrypter un semblant de scénario, décrire l'ambiance, les cris autour de la table finale, les rebondissements de dernière minute et les bad-beats improbables, et je parlerais quelques minutes avec le vainqueur, en essayant de comprendre d'où il vient, pourquoi il est là, ce qu'il compte faire désormais, ce genre de trucs.
Là, nos reportages suivent une formule bien établie, rodée, mais que j'ai de plus en plus de mal à apprécier. Au démarrage de chaque épreuve, on se pointe, on repère qui est là parmi les français, on prend quelques photos, on discute un peu, mais ce n'est pas facile car ils sont en train de jouer, et la dernière chose que j'ai envie, c'est d'aller faire chier un mec qui vient de payer 5,000 dollars pour disputer un tournoi de cartes. Une fois les présentations faites, on essaie de suivre la trace nos poulains tout au long de la journée, en essayant de dresser un tableau exhaustif de la situation, ce qui relève de l'impossible car nous ne sommes que deux pour couvrir quatre, cinq ou six épreuves en simultané, et même si nous étions cinquante, les contraintes du règlement nous tomberaient dessus (un seul article par heure et par tournoi, c'est la règle). A la fin de la journée, on compte les survivants, et on dit au revoir, à demain, puis l'on revient douze heures plus tard pour reprendre l'épreuve là où elle s'était arrêtée. Et ainsi de suite jusqu'à la table finale.
Ce genre de formule marche à merveille quand un français va loin, comme lors du Short-Handed à 5,000$ ou du Pot Limit à 10,000$. Des premiers coups jusqu'au dernier, on retrace son parcours, on suit son évolution, on l'écoute raconter ses humeurs, ses plans, ses stratégies. Mais dans des jours comme ceux que l'on vient de voir, ce plan montre clairement ses limites. Cas d'école : le Pot Limit Omaha à 5,000 dollars. Il y avait plein de français en course, et des bons, mais au final, j'ai passé la soirée à compter les morts sans vraiment avoir rien d'intéressant à raconter. D'une quinzaine au départ de l'épreuve ils n'étaient plus que trois au terme du premier jour, et tous se sont fait liquider en deux heures. Dans le Day 2 du No Limit Hold'em à 1,500 dollars, c'est la même chose : j'ai patiemment retrouvé les huit français au départ, chroniqué leur entrée dans l'argent, et... passé le reste de l'après-midi à rayer des noms sur mon carnet, incapable d'être là au bon moment pour attraper au vol les coups importants. Quand je dis que regarder un tournoi de poker est improductif et ennuyeux (je parle des journées avant la finale, là), je suis sérieux : on perd notre temps. Toutes ces mains, ces éliminations, ces news publiées en cours de partie, elles ne servent à rien, elles sont aussitôt oubliées une fois publiées. Dans l'idéal, il faudrait se concentrer sur les succès, et oublier les échecs. Le problème, c'est que ces derniers constituent 99% de la vie d'un joueur de tournoi. Et j'ai l'impression d'avoir passé l'été à chroniquer les ratages français.
A l'heure où j'écris, 47 des 57 épreuves des WSOP sont derrière nous, et il n'y a pas de quoi être fier du bilan tricolore, comparé aux années précédentes. Certes, nous pouvons nous targuer d'une victoire dans le Ladies Event, mais c'est l'arbre centenaire qui cache une forêt de plantes vertes : des min-cash par dizaines, résultats insignifiants vite oubliés, cinq finales seulement, et beaucoup, beaucoup d'occasions manquées, de demi-histoires, de « et si ? » : Bruno Launais et Tallix dans le 6-max, Nicolas Levi dans le Shootout, Marc Inizan et Clément Thumy dans le 10,000 PLO, Cuts dans le heads-up... A chaque fois, l'histoire s'est arrêtée trop tôt pour être véritablement mémorable. On est restés sur notre faim.
Globalement, ces WSOP ne resteront pas dans les mémoires non plus. Peut-être que c'est la lassitude qui parle ? J'ai déjà oublié de quoi parlent la plupart des articles que j'ai écrits. Seuls trois noms restent en mémoire : Tom Dwan, Phil Ivey, et Michael Mizrachi. C'est déjà pas mal. Les autres, les Frank Kassella, Gavin Smith, Allen Kessler, Men the Master ? Tous rapidement balayés par les épreuves qui se succèdent jour après jour.
Ceci dit, nous n'en avons pas tout à fait terminé. Je place de gros espoirs sur les trois dernières semaines pour conclure les WSOP en beauté. Je peux déjà voir la fin comme si c'était demain : quatre jours intensifs là, tout de suite avec en point de focale le Short-Handed à 25,000 dollars, un tournoi qui me fait saliver à mort, puis une journée de pause avant le grand plongeon... Le Main Event. Douze journées en apnée (avec un entracte au milieu), et voilà. Si les français peuvent perfer sur au moins une de ces deux épreuves, alors ces deux mois à Vegas auront valu le coup.
Deux blogs de plus à lire : ChipBitch.net, de mon pote Alex, reporter pour PokerNews originaire du Costa Rica, de bonnes histoires bien salaces, et Under the Belt, de Maanu (Poker770), un mec avec qui j'ai partagé de nombreux bons moments dans les parties privées de Lille il y a cinq/six ans de cela, et que j'ai vu ensuite se transformer petit à petit en vrai reporter poker, avec son regard et sa sensibilité à lui.
Pour terminer, des nouvelles de Lost Vegas... Pauly a poussé cette semaine un immense soupir de soulagement en mettant un terme à cinq années d'effort : son ouvrage est maintenant disponible à la vente. Je l'ai félicité comme on congratule une maman qui vient d'accoucher. Le labeur a été long et douloureux. Pour la mise en circulation, le bon docteur a eu recours à ce tout nouveau procédé d'impression à la demande qui lui permet de ne pas se préoccuper de stocks et d'invendus : les livres ne sont imprimés qu'après la commande, et l'auteur est auto-publié (aucun éditeur ne vient s'interposer pour récupérer son pourcentage). De mon côté, j'ai obtenu un nouveau délai de la part de l'éditeur français, et suis désormais tenu d'avoir terminé la traduction française pour le mois de septembre. Dieu merci, je n'aurais jamais été prêt pour le 15 aout. Si vous n'avez pas l'envie ou le courage d'attendre, vous pouvez commander la VO en cliquant ici.
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